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백남준랩소디

[백남준] 89년, 장 폴 파르지에 'Art press' 기고

Art press,  nov.1989 Intro : pourquoi ce titre : Souvenir de ma mère l’oie… Loi…

Fargier, Jean-Paul. Nam June Paik. Paris : Art press, 1989

1989년, 11월 프랑스의 백남준 전문가 장 폴 파르지에(Jean-Paul Fargier)가 'Art press'에 기고한 글로, 제목이 <나의 어머니 백남준(Ma mère Paik )>, 그는 백남준을 어머니라고 불렀다. 자신이 백남준 관련 책을 쓸 때 어머니처럼 자신을 돌보면 많은 도움을 주었다는 일화에서 나온 말. 백남준에 대한 최고의 찬사와 다름 아니다. 예술가 이전에 그의 인간적 매력에 푹 빠졌음을 솔직한 고백한 글이다. 아래에서 그의 원문(프랑스어)을 읽을 수 있다Fargier, Jean-Paul. Nam June Paik. Paris : Art press, 1989.

                                                               나의 어머니 백남준 Ma mère Paik 

             Quand Paik en aura fini avec la vidéo, il écrira, me dit-il, un grand livre sur la Chine. Je lui réponds que moi, c’est à peu près le contraire. Quand j’en ai eu fini avec la Chine, je me suis mis à m’intéresser à l’art vidéo. 백남준은 "내가 비디오작업이 끝나면 난 중국에 관한 놀랍도록 두꺼운 책을 쓰겠다"고 나에게 말했다. 그러나 나는 반대입장이었다. 나는 중국공부는 끝났고 이제 나는 백남준의 비디오아트에 관심을 가지겠다. -장 폴 파르지에.

             Et comme par hasard, le café où nous échangeons ces propos, au coin de la rue de Seine et du boulevard Saint-Germain, s’appelle Le Mandarin. Je le lui fais remarquer, et nous rions. 

             Il m’a donné rendez-vous là, en ce début d’octobre 1988, pour régler un problème de photos relatif au livre que je suis en train d’écrire sur lui. Quand j’arrive, il est attablé, devant un café/camembert, avec un de ses hommes d’affaires, un Coréen qui possède une galerie à Séoul. La plus petite de toutes, précise celui-ci (en français).

             Ce qui n’empêche pas qu’il soit un des capitalistes les plus importants de toute l’Asie, corrige Paik. Et en plus il parle très bien français, il  a vécu à Paris, continue aimablement Paik (en français, lui aussi). Pour achever les présentations, nous échangeons nos cartes. Je lis la sienne. Et je peux enfin comprendre le nom, prononcé très vite toute à l’heure par Paik, de cet homme qu’il considère comme l’un des plus importants capitalistes d’Asie, mais aussi, a-t-il précisé encore, comme le plus important de tous en ce qui le concerne, et que le hasard – mais est-ce un hasard ? – d’un chevauchement de rendez-vous vient de me faire rencontrer : Gui Yowg Jung. 

             Monsieur Gui Yowg Jung – Paik n’omet jamais de faire précéder le nom de son compatriote de notre monsieur national – va vous faire un cadeau, m’annonce Paik, comme si l’autre n’était là que pour ça. « Tenez, c’est pour vous », me dit monsieur Gui Yowg Jung. J’écarte les bras, le cadeau est grand. 

             Le cadeau est une affiche, à tirage limité, que Gui Yowg Jung a édité pour Paik (et auquel il vient livrer à Paris les épreuves d’artiste). Elle offre au regard le rapprochement énigmatique de deux objets (noir et blanc, flottant dans un grand vide (crème) :

1)     Une photo de presse (autour de laquelle subsistent des lambeaux d’article) publiée en mars 1963 par un journal allemand qui rendait compte de la fameuse exposition à la galerie Parnass (de Wuppertal) où Paik inventa l’art vidéo : on y voit Paik (jeune) brandissant une tête de taureau (tranchée). Si on lit l’allemand, on découvre que cette tête surplombait l’entrée de l’exposition.

2)     Un disque, grand rond noir troué, avec une étiquette mentionnant (en coréen) ce qu’il contient ; étiquette collée à la main, écrite à la main. La main de la mère de Paik : ce disque lui appartenait, me dit Paik, en guise d’explication.Ceux qui lisent le coréen peuvent déchiffrer qu’il s’agit d’un enregistrement de chants de chamans.            

             Je n’ai pas encore écrit une ligne de mon livre (bien que je fasse croire à Paik le contraire). Mais je suis à l’affût depuis longtemps de tout ce qui peut enrichir ma connaissance de Paik. Et en recevant cette affiche, j’ai l’intuition d’avoir en main une pièce maîtresse. Ces deux objets – rapprochés par Paik – me paraissent d’emblée, ce jour-là, recéler le secret de Paik (de son art, de savie), sans que je puisse encore dire pourquoi. De plus, il me semble qu’en me donnant cette affiche, Paik entend me mettre sur une piste, veut attirer mon attention sur quelque chose à ne pas oublier. Comme il l’a fait déjà, plusieurs fois, depuis que je lui ai dit, un an plus tôt, que j’allais écrire un livre sur lui.            

             Ainsi, un jour, ai-je reçu un appel de Karl Solway. Je ne le connaissais pas. Il me dit qu’il travaillait avec Paik, qu’il avait une galerie à Cincinnati et que Paik lui avait demandé, puisqu’il passait par Paris, de me montrer des photos de ses dernières œuvres. Je me rendis donc à l’hôtel La Louisiane où je découvris, stupéfait, en feuilletant un magnifique portofolio, une ribambelle de créations de Paik dont j’ignorais tout. Il s’agissait de la Famille Robot et de quelques autres robots (comme ce Merce, dont Carl Solway prétendait qu’il serait suivi d’un Cage, d’un Ginsberg, d’un Beuys, etc.) ; de diverses compositions avec des vieux postes et des poules, des chouettes, des plantes, des poisson, des fauteuils à deux places. C’était saisissant de nouveauté, quoique en même temps, parfaitement logique. J’improvisais aussitôt, devant Solway, une théorie : que le concept de famille était le thème principal des Paik.  Auparavant on pouvait regarder son œuvre comme une généalogie de l’art moderne, filant les filiations d’une discipline à l’autre (Duchamp/Cage/Cunningham/Kaprow/Ginsberg/Beck/Paik). Mais désormais, après cette famille de robots (cette famille-robot), il était patent que l’intérêt de Paik s’enracinait dans des préoccupations beaucoup plus intimes que celles qu’agitent les épistémologues et les historiens de l’art. 

             Un autre jour, c’est Carole Brandebourg qui me rendit visite. Elle avait produit plusieurs bandes de Paik, au sein de la 13eme chaine de New York, et s’occupait maintenant de coordonner son projet de satellites  pour les Jeux Olympiques de Séoul. Paik m’avait déjà fait savoir qu’il ne fallait pas négliger son rôle dans son œuvre et qu’elle viendrait elle-même m’expliquer en détail tout ce qu’elle avait fait pour lui. Mais il n’en faut pas question. Elle voulait seulement que je l’aide à téléphoner à divers responsables de la télévision pour les intéresser au projet de Séoul. En l’absence de ces responsables, il était pénible d’entendre leurs secrétaires écorcher le nom du pape de l’art vidéo.  Une matinée de démarches de standard en standard, à travers nos sept chaînes, m’enseigna le genre de difficultés que Paik devait vaincre pour accomplir ses projets de satellite art. 

             C’était deux ans plus tôt. Maintenant Paik revient de Séoul. Son satellite olympique a très bien marché, reliant dix pays (mais pas la France). Très fier des résultats, il me montre la presse soviétique et chinoise qui parle de lui. Il n’a eu qu’un pépin : il s’est fait doubler par Moon pendant la séquence coréenne. Alors qu’il s’attendait, en régie finale, à voir arriver les danseuses au tambour qu’il avait choisies, c’est une autre troupe dansant avec un autre instrument qui a surgi devant les caméras (et donc sur les écrans des dix pays qui participent à ce multiplex). Une troupe sponsorisée par Moon, que Moon avait imposée, à l’insu de Paik, à la direction de la télévision coréenne. Moon, le gourou international, n’allait pas laisser passer une si belle occase : dix pays d’un coup ! Tout ce qu’on peut dire, dis-je, c’est que Moon comprenait beaucoup mieux l’importance du « satellite art » que les bricoleurs des grilles de notre PAF. Moon est-il un chaman ? Un chaman moderne ? Un chaman mondial ? Paik est-il un chaman ? Bagarre de chamans ! Je n’ai jamais vu Paik aussi furieux. 

             A Séoul, pendant les Jeux Olympiques, Paik a également construit son installation la plus gigantesque, une tour conique de 1.003 postes de télévision, intitulée Tadaikson (The more the better). Mile et trois, je bondis ! Don Juan ! Mais Paik ignore le mille e tre du séducteur occidental. Il n’en est pas moins ravi de la coïncidence. Il est arrivé à ce chiffre en partant des Mille et une nuits. Plus une pour les juifs, à la demande d’un ami juif. Plus une autre, alors, pour faire trois, le chiffre clé de la Corée. 

             Tout en m’expliquant (en français) cette symbolique, et bien d’autres chose, Paik poursuit une conversation (en coréen) avec son homme d’affaires, qui aligne sur un bout de papier des colonnes de chiffres, qu’il compte et recompte, recompte et modifie au gré de sa discussion avec Paik. Je regarde d’un œil des photos de la Tour de 1.003 moniteurs tandis que de l’autre j’espionne leur manège. Je m’amuse de voir Paik faire du satellite art entre Monsieur Gui Yowg Jung et moi, passant de l’un à l’autre comme il saute en régie pendant un multiplex d’un émetteur à un autre, entre deux continents. 

             Pendant qu’il parle à l’homme de Séoul, il entreprend de me dédicacer son affiche. Il commence à écrire : pour Jean-Pierre Wilh… Et puis s’apercevant du lapsus calami, il rectifie Paul Fargier par dessus. Comme je sais ce que représente pour lui Jean-Pierre Wilhem, je suis assez fier qu’il m’ait un instant confondu avec lui. Jean-Pierre Wilhem, le Français de Düsseldorf, qui possédait la Galerie 22, où Paik a fait sa première prestation publique, en 1959 ! Il en parle toujours comme de celui qui l’a découvert le premier ; et qui lui a, le premier, fait totalement confiance. Et moi qui prétend être un de ceux qui comprennent le mieux, le plus intimement Paik, il me semble que je reçois, à travers ce gribouillis qui emmêle mon nom et celui d’un autre, mon brevet de découvreur. 

             D’ailleurs, il m’arrive moi aussi de prendre Paik pour un autre. Quelquefois quand je parle de lui, je dis : Godard. En tombant sur Paik, à la fin des années soixante-dix (mon premier grand article sur lui se trouve dans le numéro 299 des Cahiers du Cinéma, d’avril 79), j’ai eu tout de suite le sentiment de découvrir un créateur tellement original que je ne pouvais mieux dire, pour le qualifier, qu’il était, à mes yeux, un autre Godard. Le seul autre Godard possible, puisqu’il œuvrait dans un autre domaine. Vouloir faire du cinéma, en ces temps-là, pour beaucoup de candidats cinéastes (dont moi), apparaissait comme une vanité absolue, suprêmement bloquante. Paik montrait tout à coup une issue au godardisme. On pouvait donc être Godard sans faire du Godard, du « à la Godard » ; inventer une écriture faite d’images et de sons radicalement neuve ; une forme d’expression que Godard et ses films n’avaient pas balisée, indélébilement marquée… Quel soulagement ! Quelle euphorie ! Voir du Paik procurait la même jubilation que voir du Godard et ce n’était pas du Godard. D’un Godard l’autre on pouvait s’en sortir. Et du coup c’était la vidéo aussi qui tirait son épingle du jeu : elle n’était pas vouée fatalement à reproduire les recettes cinématographiques du film documentaire. On allait pouvoir s’amuser. On allait pouvoir balancer Godard par dessus les moulins. Cela s’appelle peut-être jouer un père contre un autre, et le risque est alors de passer seulement d’un maître à un autre. Mais Paik n’est pas un père – intuitivement le savais-je ?- , c’est même le contraire. Osons le dire : une mère. Et sans doute est-ce la raison pour laquelle je suis si librement attaché à lui. 

             Mon livre sur lui, il l’a couvé comme une mère. Pendant deux ans, je m’en rends compte aujourd’hui, il m’a, comme on dit, materné. Il m’envoyait des messages pleins de sollicitudes. Il me rendait visite, parfois au milieu de la nuit, pour examiner les problèmes de documentation. Quand les droits des photos exigés par certains auteurs lui paraissaient excessifs, il proposait d’en régler la moitié en donnant un dessin au photographe gourmand. Cela va beaucoup plus loin que le souci manifesté habituellement par les artistes qui s’intéressent à ceux qui s’intéressent à eux. 

             Ce que je décris aujourd’hui comme du maternage, n’engage pas, je crois, que mon sentiment ; objectivement, cela correspond à quelque chose du côté de Paik. Je ne rêve pas. Ou alors seulement à l’intérieur de son œuvre. Mon songe est façonné par son art. Nous partageons le même fantasme, mais c’est le sien d’abord. Tout mon livre converge vers ce moment où je décris la rivalité féconde de Paik avec sa mère. Relation qui fait basculer l’impossibilité de l’inceste du côté de l’identification à la génitrice. Le devenir mère de Paik est la seul issue qui s’offre à lui pour se débarrasser de celle qui l’a mis au monde. Jusqu’à ce qu’il trouve le moyen d’engendrer à son tour celle qui l’a engendré. Quant à moi, écrire ce livre – où je dis cela de Paik – ce fut aussi ma façon d’engendrer ma mère Paik. Et non pas de tuer un père. 

             Un père, il y en a un, auquel ce livre s’adresse, comme la manifestation d’un interdi franchi. Et c’est bien sûr Sollers, le troisième larron de ma Sainte Trinité. Godard/Sollers/Paik : un seul dieu en trois personnes, le dieu créateur auquel j’adresse mon credo de l’écrit, mon crédit de l’image. Sollers l’empêcheur d’écrire, comme Godard est l’empêcheur de filmer, parce qu’ils font ce qu’ils font, à mes yeux, à la perfection. C’est pourquoi au lieu d’écrire des livres je fais des vidéos (en particulier sur et avec Sollers) ; et au lieu de filmer, j’écris sur les films (en particulier ceux de Godard). C’est comme ça, personne n’y peut rien. Sauf Paik, je viens de m’en apercevoir en écrivant ce film sur lui. Ma mère Paik. Mon esprit sain. Pour certains chrétiens primitifs l’Esprit Saint, parce qu’il était dénommé Sagesse, mot féminin, était une femme. C’est ainsi que j’entends désigner moi aussi Paik comme une mère. 

             Un jour de janvier 1982, étant à New York pour présenter Paradis Vidéo à la Kitchen, nous nous retrouvâmes, Sollers et moi, et d’autres, pour un buffet amical offert par le pape de l’art vidéo. Paik avait allumé tous les postes de son loft. Cela composait diverses installations : entre autres, TV Clock et le Fishes flying in the sky. En croquant des sushi nous nous tordions le cou pour guigner les moniteurs suspendus au plafond où évoluaient les fameux poissons volants de Paik. Je trouvais ça grandiose. Alors, Sollers, très killer, m’avait glissé à l’oreille : « Pas très sexuel tout ça ». Et Serge Daney, qui était là aussi, d’acquiescer en élaborant aussitôt la théorie que la vidéo ça rime avec chromo. Pas avec homo, enchaînait Sollers, hétéro non plus. Bref on avait bien rigolé. 

             Mais la petite phrase qui tue était restée, insidieuse, toujours là, insistante. A contourner désormais pour pouvoir continuer à admirer Paik. Pas de sexe chez Paik, et alors ? Pas moins génial pour autant. Sacré Philippe ! Et s’il avait raison ?... Il avait tort. Il m’a quand même fallu écrire un livre pour me le prouver. Voilà pourquoi je soutiens assez brutalement que l’art vidéo a été inventé par un obsédé sexuel (nombreuses preuves à l’appui) tout en démontrant que le ressort le plus puissant de la créativité paikienne est ce qu’il appelle lui-même tele-fuck et que je traduis par baise à distance. Autrement dit la sexualité sans le sexe. Sollers avait donc raison ? Ah Sollers… 

             Au Mandarin, il y a un an, en écoutant Paik parler en coréen avec son homme d’affaires, j’étais loin de me douter que je serai amener à écrire de pareilles choses sur lui. Pourtant, tout était déjà là, tracé en creux, dans cette affiche. Je n’ai eu (je n’ai fait) que la déchiffrer pour découvrir le secret de Paik (de son art, de sa vie) : Paik est un chaman. C’est sur ces mots que se termine mon livre. Je n’ai rien d’autre à ajouter, sinon que j’espère le devenir un peu moi aussi.

<> Ce livre est épuisé, on ne le trouve plus en vente mais je suis en train de préparer un nouveau livre sur Paik avec tous mes textes, dont celui-ci Il devrait paraitre en juillet Je n'ai pas encore scanné le livre de 1989 sinon j'aurais pu vous l'envoyer... il faudra un peu attendre. En attendant, voici l'article des Cahiers du Cinéma n° 299, d'avril 1979, mon premier texte sur Paik : Paikologie...

                                                            PAIKOLOGIE « Tout est dans le jeu » -Garland Judy

                                                                                                                                                 
U
M. Paik debout sur un piano, Paik tapant du poing sur un piano, Paik renversant un piano (sur les spectateurs), Paik éventrant un piano, Paik s’aspergeant à seau et à proximité d’un piano, Paik pianotant en slip ses vêtements épars jonchant la scène autour du piano, Paik tirant un piano par les cheveux (du piano), Paik catapulvérisant un violon ‘lui faisant rendre l’âme ?), Paik à genoux faisant le violoncelle pour Charlotte Moorman (« la Jeanne d’Arc  de la nouvelle musique » selon Edgar Varese), Paik cisaillant la cravate d’un mélomane, le veston d’un autre, Paik à plat ventre finissant de tracer avec sa tête-pinceau trempée de peinture une longue tache zen, Paik actionnant dans la rue son robot électronique (il peut jouer du piano) : des photographies.

            Des photographies qui illustrent, dans les livres consacrés à Nam June Paik, sa période musicalo-dada.

FEED-BACK. Autre photo de Paik, mais cette fois beaucoup plus récente : le Vidéo-Jardin exposé à Beaubourg au printemps dernier.

            De tels environnements, Nam June Paik en conçoit à la demande des Musées ou des Galeries. Depuis les 13 primitives altérations d’un programme (Allemagne, 1963) jusqu’au grand parterre de Beaubourg (déjà réalisé à New York, Cologne, Amsterdam), Paik s’ingénie à associer la TV à divers objets usuels (lit, chaise, aquarium, plantes), culturels (Boudha, Penseur de Rodin, violoncelle) ou symboliques (lune, heures).             Décentrement, dépaysement, perversion, sublimation, gadgétisation, critique : vous pouvez broder. Pour ma part, n’étant guère un habitué du Marché de l’Art, je dirai que ces « concepts » de Paik sont toujours amusants, souvent beaux, quelquefois sublimes. Qui a vu au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, Moon is the oldest TV (10 ou 12 postes plongés dans la nuit d’une vaste salle, inscrivant chacun une phase de la lune), sait de quoi je parle

JEANNE D’ARC. Paik au piano, Charlotte Moorman au violoncelle avec un masque à gaz (Variation sur un thème de Saint-Saëns, 1965). Charlotte Moorman entre deux flics, arrêtée, ainsi que Paik, pour attentat à la pudeur dans Opera Sextronic, 1967. Charlotte Moorman couchée avec son violoncelle sur un lit de postes TV, 1973. Charlotte Moorman, violoncelle sur le dos en guise de ruck-sac, rampant sur le parcours du coimbattant, avec casque et treillis, 1970. Charlotte Moorman jouant du violoncelle au sommet d’un tank détruit, 1976. Et toujours et partout Charlotte Moorman caressant de son archet la corde unique du TV –cello : instrument fabriqué par la superposition de trois moniteurs de tailles diverses, sur l’écran desquels viennent se reproduire tour à tour les images de la violoncelliste et de son public, images filmées en direct et plus ou moins déformées par les impulsions de l’archet et/ou la fantaisie du filmeur. Souvent, deux mini-écrans répètent ces images sur les seins de Moorman.

            Depuis 1964, à l’égal du tube cathodique, le corps de Charlotte Moorman est inséparable de l’œuvre de Nam June Paik.

            CARNET DE BAL. Dans les années 70, après quelques variations au synthétiseur vidéo sur les retransmissions de musique symphonique à la télévision, Nam June Paik réalise, en général à la demande de la WNET-TV qui les diffuse sur le Canl 13, des programmes d’une trentaine de minutes. Ces programmes, conservés en cassettes, est venu les montrer récemment au Centre Culturel Américain (rue du Dragon). On peut les voir, de temps à autre, à Beaubourg qui en possède des copies.

            Jusqu’à ce jour, 4 titres.

            Global Groove, 1973. Images de base pour les diverses manipulations électroniques : des danseurs (de rock, de charleston, de comédie musicale, de danses coréennes raythmées par un tambour, etc.), un poète disant un poème (Allen Ginsberg), un musicien exposant ses idées (John Cage), des acteurs en action (Living Theatre). A quoi viennent s’ajouter, intacts, des spots publicitaires (entre autres pour Pepsi Cola en coréen).

            Tribute to John Cage, 1974. Le robot qui marche et qui parle, construit par Shuya Abe et Nam June Paik, dans la rue avec John Cage. Cage fait une conférence sur sa musique. Cage joue du piano (préparé) dans la rue. Un universitaire de Harvard parle musique et bégaiement ; il est lui-même bègue. Charlotte Moorman fait des trucs. Tel est, en grande partie, le matériel travaillé ici par les divers appareils de montage électronique.

            Guadalcanal Requiem, 1976. Des bouts de films de guerre hollywoodien, des anciens marines ayant fait la guerre du Pacifique, des habitants des îles Philippines où cette guerre s’est déroulée, des charniers, des ossuaires dans la jungle, et dans un « paysage après la bataille » (à la crête d’un tank rouillé), Charlotte Moorman jouant du violoncelle, sont les principaux personnages « réels » malaxés ici par l’électronique.

            Merce by Merce, suivi de Merce by Marcel, 1977. Cette sorte de diptyque, avec le chorégraphe Merce Cunningham et Marcel Duchamp, à travers une réflexion, très électronique, sur la danse et la pesanteur, la vie et l’éternité, est sans doute la plus ambitieuse des œuvres de Paik. Et la plus réussie. La plus légère et la plus grave. Nous allons y revenir.

            A ces quatre titres, il faudrait ajouter Media Shuttle : New York – Moscou de Dimitri Devyatkin, un programme WNET-TV que Paik n’a pas réalisé à part entière (il en est d’ailleurs souvent ainsi : la liste des crédits films à la fin de ses bandes est d’une longueur impressionnante) mais qu’il a produit et pour lequel il a effectué les opérations électroniques. Il s’agit d’images et de sons enregistrés par Devyatkin à New York et à Moscou, avec un porta-pack couleur (certaines séquences russes étant en noir et blanc parce que filmées quelques années plus tôt que le reste). La partie soviétique est du bon reportage, bien filmé, insistant surtout sur des impressions sonores, musicales : chants orthodoxes, orchestre New Orleans dans un défilé de Premier Mai et surtout cet inoubliable sibérien imitant avec sa bouche, à s’y tromper, le son de la Voix de l’Amérique, la fameuse radio. La partie américaine consiste en la ballade d’un type moustachu à travers divers lieux de New York (appartement, salon de coiffure, sex-shop, salle de bain, etc.) qui ont en commun de posséder dans leur décor une source d’images électroniques (TV, moniteur vidéo, écran individuel pour film porno). Ces postes, plus ou moins miniatures (il y en a même un, très mini, logé entre les cuisses d’une femme), diffusent d’un plan à l’autre le même discours, dit par le ty à la moustache qui contemple, d’un endroit à l’autre, son image ainsi reproduite. Il parle du parc automobile et du parc télévision new-yorkais. De la criminalité aussi. A la fin, un voleur s’introduit dans un appartement où scintille du même discours un solitaire téléviseur portable ; le voleur l’éteint, enfonce l’antenne et l’emporte.

            CUT UP. A coup sûr, davantage que le vidéo-sybthétiseur (inventé avec Shuya Abe en 1970 et délibérément non breveté, « que tout le monde s’en serve »), la grande découverte de Nam June Paik concerne la nécessité de mélanger images abstraites et images concrètes. C’est une découverte inséparable de toute grande création artistique – l’hétérogène. Hétérogène visé et obtenu dans les « dé-coll/ages » des concerts Fluxus, dans les « concepts » pour Galeries, dans les « environnements » pour Musées ou dans les prestations publiques de Charlotte Moorman, mais hétérogène perdu dès lors que le synthétiseur se contente de générer des coloriages charmants sur un support-temps reproductible. Car ce qui frappe dans l’instant (d’une exposition) s’émousse à se répéter dans la durée, se dilue, ennuie. L’intérêt chute. Pour qu’il renaisse, il faut que le déroulement de la bande offre une diversité d’onjets et de matières au moins comparable à celle de la présentation dans une galerie ou un musée de plusieurs « concepts » vidéo. Paik en fait la démonstration dans l’entretien qui suit, à partir de l’exemple des couleurs (couleurs artificielles ou abstraites créées par le synthétiseur, couleurs réalistes ou concrètes produites par la caméra, produites plus que reproduites car il va de soi que le système des couleurs dites réalistes est un code, un code qui vise des rapports de couleurs davantage que les couleurs en elles-mêmes). La même démonstration est valable pour toutes les composantes de l’image :surée, analogie, unicité, capacité symbolique. Elles sont toutes susceptibles d’une reprise électronique, car le vidéo-synthétiseur est d’abord un analyseur et il peut séparer toute forme de son contenu. Ainsi obtient-on la silhouette d’un personnage ou d’un objet, silhouette qui peut être tracée linéairement ou au contraire prise dans sa masse, comme une ombre portée. Et cette silhouette et cette masse peuvent être ensuite (ou instantanément) coloriées, étirées, élargies, volatilisées, multipliées par deux, par trois, à l’infini ou juxtaposées.

            CUT IN. Juxtaposées ou imbriquées : cet hétérogène ne se limite pas à l’alternance de valeurs abstraites et concrètes entre deux séquences ou même deux plans, il s’étend aussi à l’intérieur du plan. Et sans doute est-ce ce montage dans le plan qui constitue la spécificité la plus excitante de l’image vidéo.

            Equivalente aux trucages cinématographiques à base de cache/contre-cache ou d’image virtuelle, l’incrustation est le nom de cette opération qui consiste à inclure électroniquement un fragment d’image bien circonscrit (acteur, journaliste, objet, mot, etc.) dans une autre image (décor, fond, paysage, etc.). Quand Poivre d’Arvor parle adossé à une image de foule en mouvement, il ne se trouve pas dans la rue ni devant un écran où serait projetée cette image de foule, il est assis à son bureau sur le plateau d’Antenne 2, filmé par une caméra vidéo ; et sa binette, transitant par une régie programmée en conséquence, va s’inscrire instantanément dans toute autre image qu’il plaît au réalisateur de lui dresser comme toile de fond (en général, le début du reportage suivant). L’incrustation n’est pas un fondu, opération par laquelle, à la télévision comme au cinéma, deux images se mêlent mais en perdant chacune un peu de leurs valeurs. C’est une procédure comparable au détourage d’une photo dans une mise en page. Voilà pourquoi Jean-Christophe Averty, le seul homme de télévision en France à avoir exploré toutes les possibilités artistiques de l’incrustation, signait (il faut malheureusement parler au passé) ses génériques : réalisation et mise en page.

            L’incrustation est le prototype de toutes les opérations d’analyse et de synthèse d’images générées électroniquement. A partir de ce principe d’inclusion – mais aussi d’exclusion : un fragment d’image en emboutit un autre – on peut imaginer les avatars les plus complexes, les métamorphoses les plus improbables, une hétérogénéité infinie.

            C’est de ce côté, du côté de l’infini, que Nam June Paik, depuis ses premiers tripotages du signal vertical, n’a pas cessé de pousser ses investigations, découvrant à chaque fois de nouvelles retombées de signaux. Et de nouvelles envolées.

            HI-FLY. Vidéo : je vole. Et non pas : je vois. Tel serait, pour Nam June Paik, le sens ultime de l’image électronique. L’art vidéo n’est pas le cinéma : l’art vidéo, selon Paik, a davantage partie liée avec notre résistance à la pesanteur qu’avec notre désir de voir. Il est moins un coup d’œil qu’un coup d’aile. Qui a été touché, au plus profond, par les vidéogrammes de Paik, ne peut que prendre au sérieux, philosophiquement sinon économiquement, ses déclarations enthousiastes concernant le triomphe de la vidéo sur le principe de gravité universelle. Et sous les paroles de prospectives écologiques, entendre la petite musique du désespoir métaphysique. Mort, où est ta victoire ? Je vole…

            Postulat d’un Euclide du temps après Einstein, sans doute est-ce cette croyance qui fait les œuvres de Paik si émouvantes. Car les images accommodées par lui, les séquences qu’il ordonne, ne sont pas seulement ingénieuses, jolies, farfelues, surprenantes, elles sont aussi bouleversantes. Dans leur humour même. Au moment où l’on s’y attend le moins, elles inoculent des virus aussi incurables que l’angoisse de mort ou les rêves d’éternité. Et cela clignote, non au détour de quelques énoncés pensifs, mais au cœur même des procédures électroniques utilisées. Points et lignes ne se dérèglent sur le tube que pour converger vers la question de l’être. Et c’est là que le mélange d’images abstraites et figuratives se révèle des plus décisifs, car c’est bien parce que les images figuratives et surtout les figurations humaines sont soumises par l’électronique aux pires perturbations comme aux plus désirables transfigurations que l’âme du spectateur vacille.

            Angoisse de mort. Au repli de deux grandes catastrophes ontologiques : devenir trame et devenir double.

            Devenir trame. La figure, entendons la figure de l’homme, celle qui suscite l’identification, l’ancrage imaginaire, la figure est en vidéo pulvérisable. Et souvent pulvérisée. A tout moment, elle est menacée d’un retour à la ligne, au point électronique qui la constitue sur le tube. Plus que jamais, elle n’existe que dans le temps et ce temps peut s’arrêter, s’inverser, se répéter, s’étirer, se condenser, mettant les formes au supplice. La représentation se trouve tributaire non plus d’un vingt-quatrième de seconde mais d’un millionième (au moins). Nam June Paik, s’opposant à la sentence godardienne, n’a pas tort de dire qu’en vidéo il n’y a plus de vérité (dans le même ordre d’esprit, je me souviens que par défi au dogmatisme politique que je venais de quitter, j’intitulai une de mes U.V. vidéo à Vincennes : « 625 lignes justes »). Il n’y a plus de vérité parce qu’il n’y a plus de vérité, ou presque, parce qu’il n’y a presque plus de réel. Juste ce qu’il en faut pour servir de comburant.

            Point parmi les points, ligne parmi les lignes, inépuisable matière à tracer, la figure – et au premier chef le corps, le corps humain – ne règne plus en maître sur l’espace délimité par le cadre. Si elle ne peut éviter de s’y référer, l’image vidéo ne se règle plus sur ce morcellement du corps qui détermine au cinéma l’échelle des plans. L’homme, et par double extension, tout être animé, puis tout objet, n’occupent plus de droit le centre de l’écran. Et la caméra, dès que le sujet se déplace, ne se sent plus tenue de le suivre : il existe bien d’autres manières de le rattraper dans sa course, de le recadrer ou au contraire de le décadrer, de l’expulser. A tout moment, il peut être soufflé. A la trame, rendu. Poussière redevenu dans le grand poudroiement des électrons. Comme atomisé. D’une pichenette sur un bouton. Ce qui ne laisse pas sans un certain effroi.

            Soufflé ou multiplié, autre façon de le dissoudre, ce sujet. Multiplié à faire sauter le cadre. A le faire sauter du cadre.

            Devenir double. La perte d’identité, d’unicité, commence à deux ; après, ce n’est même plus la peine de compter. Le voudrait-on ici, ce serait difficile. Les machines vidéo ont aussi ce pouvoir terrifiant de délivrer les ombres de leurs attaches, de leur rendre une autonomie qu’elles n’ont jamais eue. De n’importe quel sujet ou objet tombé dans la trame, elles peuvent tirer mille et une silhouettes, linéaires ou massives, colorées ou striées ; et ces silhouettes peuvent aussitôt se mettre en mouvement, dans plusieurs directions à la fois, tandis que cette forme qui les a comme engendrées restera inerte ; après quoi, cette forme, ce corps, s’animera à nouveau, mais cette fois ce sera pour contemplere, repris sur un moniteur intégré au décor, un double de lui qui parle à sa place, tandis que lui se tait, un double très doué pour le contrefaire, le singer, répétant minutieusement ce qu’il vient d’avancer, paroles et mouvements, voire même le devançant. Du coup, on croirait que c’est lui le mort, l’ombre, le reflet.

            Nul doute que cette coexistence de deux cadres sur le même tube, l’un abyme de l’autre, soit encore plus épouvantable que la dissémination des doubles. A ce point, tous les fantasmes de miroir denté se remettent à vivre, toutes les légendes contant les mésaventures de Narcisses vampirisés par leur reflet.

            Rêves d’éternité. Aux origines du cinéma : le corps burlesque (ainsi que le rappelle à bon escient Jean-Louis Schefer, Cahiers du Cinéma N° 296).

            Nam June Paik, d’une certaine façon, traite le corps en vidéo comme le burlesque le traitait avant que le star system s’en empare et le pare de beauté dans ses laboratoires. La star c’est la vidéo. C’est elle qui brille au firmament des trames, quoi qu’il s’y passe. Avatar grotesque ou sublime transcendance, tous les mérites en reviennent toujours à l’Electronique. Les manipulations de Paik, dans le contexte d’angoisses et de désirs fous qu’il distille, fabriquent des effets de puissance aussi sûrement que les ateliers de make up qui élaboraient à Hollywood les visages du succès. Bien sûr, chez Paik, cela ne va pas sans humour. Même quand il redouble ce sentiment de toute puissance par des théories futuristes impliquant toutes cette conclusion : hors de la vidéo, point de salut (écologique, précise-t-il, car c’est aujourd’hui le mot qui porte nos espoirs de « bonne société »).

            Il n’en reste pas moins qu’avec Paik la vidéo se pose en rivale du cinéma, dans tous les domaines où celui-ci régnait sur nos imaginaires. En matière de maquillage de nos angoisses et de sublimations de nos désirs, elle prétend avoir l’avenir pour elle. Et même déjà un peu de notre présent. Pour avoir fréquenté certaines vidéographies, je dois bien reconnaître qu’il n’a pas totalement tort. Certes nous ne sommes pas près d’oublier nos larmes qui se mêlent à celles (retenues) de Judy Garland à la fin d’ A Star Is Born (Cukor) ni nos tressaillements quand le chien affronte le sanglier sous l’œil novice de George Hamilton dans Home From The Hill (Minelli), la vidéo d’ailleurs ne nous en demande pas tant puisqu’elle n’ambitionne, à cet égard, que de mettre en cassette le patrimoine hollywoodien, mais je sais aussi, pour les avoir éprouvées, que les émotions de vidéophile nous seront bientôt aussi indispensables que celles qui naissent des fictions cinématographiques. D’abord parce que ces émotions électroniques s’accordent terriblement aux plaisirs de notre époque, plaisirs de la vitesse, des voyages éclairs, plaisirs des longues conversations téléphoniques et du feuilletage lassée des piles de journaux, plaisirs de la pensée rapide, de la pensée binaire (This is dance – Is this dance ?), plaisirs du babil psychanalysoïde, de la calculatrice de poche, de l’ordinateur domestique, de la photocopie recto-verso, des pochettes de disque et du bordeaux californien qui, paraît-il, commence à surpasser le nôtre. Et puis ensuite parce que, finalement, ces émotions ne sont pas si différentes de celles du cinéma : il s’agit toujours de jouer à colin-maillard avec sa mort, à saute-mouton avec l’héroïsme, à je te tiens par la barbichette avec le divin, au Monopoly avec l’amour. Oui, encore un peu, et nous ne voudrons plus échanger un Paik contre un Cukor ; passionnément nous tiendrons aux deux. Comme aux deux prunelles de notre âme.

            MODE D’EMPLOI. La vidéo est grande et Paik est son prophète. Il n’a pas pris de brevet pour son synthétiseur. Allez-y, servez-vous et faites des merveilles.

            Suffirait-il donc, pour nous émouvoir au point où Paik nous transporte, de faire joujou avec son synthé, d’incruster à qui mieux mieux du négatif dans du positif, du noir dans du blanc, du blanc dans de la couleur, du linéaire dans du volumineux, de l’abstrait dans du concret et vice versa, bref de mettre les petits spots dans les grands ? Certes non. Et Averty qui maîtrise avec grâce toutes ces techniques nous fait évoluer dans d’autres zones, pour d’autres plaisirs. Sans parler des imageurs de pubs irisées à la Bahlsen.
            Alors, à quoi tient la force originale de Paik ? A-t-il un secret ?

            Soyons bref et disons-le à voix basse : si Paik nous émeut autant, nul doute, cela tient aux images de base qu’il donne en pâture à ses machines électroniques. Des images surcodées culturellement, des représentations artistiques, des fragments de messages déjà médiatisés (impressionnante liste de crédits aux génériques de fin, filmothèques, photothèques, vidéothèques, collections privées, tout y passe, y compris Jean-Marie Drot de l’ORTF pour son interview de Marcel Duchamp). Art de culture ou art de masse, art d’hier ou art d’aujourd’hui, c’est toujours de l’art chez lui qui se consume entre deux trames. Un buste de Beethoven brûlant à petit feu, un piano incendié, le discours de Cage ainsi que son visage tailladés par des coupes, la gestuelle de Cunningham saccadé par des accélérés brutaux ; pas seulement des métaphores. Aussi de la matière première qui s’en va en fumée, en volutes d’électrons. La consomption ne reste pas longtemps image d’elle-même, elle donne lieu, elle aussi, à des effets vidéo.
            Mais quel est cet art qui se fait ici combustible (le comburant étant, comme suggéré plus haut, le « réel », les effets de réel de temps à autre injecté, comme du sang neuf, dans les effets de synthèse ) ? Cet art se nomme : art de la fin de l’art.

            L’art est en cendres et avec lui ce qui de nous prétendait survivre. Angoisse. Humour. L’art est en cendres mais la vidéo veille à ce que ses funérailles soient somptueuses et mondiales. Hors de la Vidéo, point de salut, carillonne-t-elle triomphante.

            Point de salut, mon cul ! répond doucement Echo.
            Nam June Paik est un iconoclaste gai.

            SERVICE APRES VENTE. Je n’avais encore jamais vu ça. Nam June Paik est assis dans un fauteuil, devant le petit enregistreur, on bavarde. Je propose de commencer l’entretien et je pose une première question. Aussitôt Paik m’interrompt, se saisit de l’enregistreur et dit : one two free liberty. Essai de son. Il ré- embobine. On écoute, c’est bon. OK, on peut y aller. Et pendant deux heures il tiendra l’appareil à deux mains, parlant droit dans le micro incorporé.

            Quelques jours plus tard, nous sommes à l’INA, aux archives, dans les glaciales tours Mercuriales de Bagnolet. Nam JUne Paik et Shigeko Kubota doivent visionner les émissions de Godard 6 x 2. On nous apporte les cassettes. On en mey une. Je dis : ça ne va pas, c’est en couleurs normalement, et là c’est du noir et blanc. Pourtant tous les réglages du poste semblent corrects. Au bout de divers essais, Paik sort de sa poche une lampe électrique, un tournevis et se met à farfouiller dans les machines.

            Paik : réparateur de pianos ?