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백남준랩소디

[백남준] '두 개선문(Arc double face)' 85

Barbara London 글 작품: <2개의 얼굴을 한 개선문(Arc double face) 1985> 1 structure métallique, H 360 cm x 360cm x 120cm, 84 moniteurs, 5 bandes vidéo, NTSC, couleur, silencieux,60' Collection Centre Georges Pompidou, Paris (France) -Traduit par Jacques Bosser // À la naissance de Nam June Paik, en 1932, la Corée était encore une colonie japonaise. Au retrait de l'empire nippon, après la Seconde Guerre mondiale, succéda non pas un air de liberté mais la pesante atmosphère de la guerre froide. Lorsque la guerre de Corée éclata en 1949, sa famille-très connue-et lui quittèrent Séoul pour Hongkong, puis le Japon. Il s'inscrivit alors à l'Université de Tokyo pour des études d'art, et en particulier de musique. Arnold Schoenberg fut d'ailleurs le sujet de son mémoire de diplôme. L'étape suivante de son errance fut les Cours internationaux d'été de nouvelle musique organisés à Darmstadt, en Allemagne, où il fit la rencontre de John Cage. Ce compositeur d'avant-garde était célèbre pour traiter le bruit comme de la musique, en utilisant des bruits d'ambiance, des craquements, des résonances, des silences, et même des sons haute fréquence que seuls les chiens peuvent percevoir. 

Ces idées hors normes furent reprises par le mouvement artistique Fluxus, fondé par George Maciunas et quelques complices. Paik rejoignit ces agitateurs d'idées à Cologne, base de leurs assauts contre la scène de l'art établi. Il organisa des concerts-événements qui débutaient par un prélude au spectacle. Une mise en condition élaborée servait d'introduction aux pièces minimalistes de Paik, qui se terminaient souvent par une unique note hypnotique jouée au piano, son instrument favori. C'est de cette fermentation conjointe de manifestes, d'événements et d'esprit de contradiction, en général placée sous le signe de Fluxus, que sortirent ses premières pièces de vidéo…, à condition de s'entendre sur la définition de " vidéo ". Ce qui fut peut-être sa première œuvre dans ce domaine fut une bougie placée dans un poste de télévision ancien modèle, présentée en 1963 à l'exposition de musique et de télévision électronique de Wuppertal. Paik remplaça le tube cathodique par une bougie, parce qu'il pensait que la flamme était plus intéressante à regarder que les programmes habituels de la télévision commerciale. Mais sa première vidéo peut aussi être une œuvre interactive, qu'il exposa lors d'une autre occasion à Wuppertal. En continuation du thème précédent, Paik remettait des aimants aux spectateurs et les encourageait à réaliser leur propre émission de télévision. Les aimants qu'ils faisaient glisser sur les côtés de l'appareil interféraient avec l'action des composants électroniques du tube. Les images déformées qui apparaissaient sur l'écran étaient aussi une façon de se moquer de l'expressionnisme abstrait, récente importation américaine en Europe. Plusieurs thèmes de son œuvre apparaissaient déjà clairement dans ces exercices d'échauffement. Les pièces étaient sculpturales et interactives, et la plupart montraient déjà qu'il s'intéressait à l'économie du recyclage. Sa " palette " de départ consistait en une accumulation d'objets de récupération. Tricolor Video, commandé par le Centre Pompidou en 1982, était une énorme installation de trois cent quatre-vingt-quatre moniteurs. Paik fait partie d'une époque où les projets grandioses des artistes pouvaient se réaliser pour trois francs six sous. Paik arriva aux États-Unis en 1964 pour un bref séjour. Il participa à l'Avant-Garde Festival de Charlotte Moorman, manifestation annuelle qui présentait la production de la tribu de Fluxus. Les événements se déroulaient dans des lieux éloignés de tout, comme, par exemple, un entrepôt de tramways. Chaque année on changeait de lieu pour prendre un peu d'avance sur la police. À New York, la chance sourit à Paik. L'une des premières caméras vidéo portables importées aux États-Unis lui tomba par hasard entre les mains, et la ville devint son lieu de travail. Promenant partout son Portapak Sony, il documenta la vie et les lieux de New York comme aucun autre artiste plasticien n'avait été en mesure de le faire jusqu'alors. Le style blitz, qui devint la marque de ses vidéos, prit forme dans les rues débordantes d'activité de la ville. Il filma le pape passant en convoi automobile, le maire de New York au cours d'une conférence de presse (enregistrée sur un poste de télévision), et des bizarreries comme ce homard de compagnie attaché à une laisse en or et exhibé par son propriétaire, fier de lui (peut-être à une table de repas). Contrairement à l'habitude, le flux d'images diffusé par la vidéo-sculpture de Paik Arc Double Face est modeste. Quelques douzaines de moniteurs empilés en arc de cercle diffusent des clips du spectacle des Champs-Élysées. Cette pièce, qui est un hommage de Paik à l'Arc de triomphe, est presque miniature par rapport à The More the Better (1993), une tour composée de mille trois moniteurs qu'il érigea pour commémorer l'indépendance de la Corée. Mais ces armées victorieuses marchant au pas en passant sous un arc imposant et descendant les Champs appartiennent au passé. L'évolution technologique a précipité l'obsolescence de ces armées. Le Kremlin n'organise plus de défi lés d'hommes et de missiles sur la place Rouge. Seules les dictatures démodées d'Iran et de Corée du Nord restent attachées à la pompe et à l'apparat des soldats marchant au pas. L'Arc de triomphe au sommet des Champs Élysées a remarquablement résisté aux vicissitudes de l'histoire. Le monument à la victoire sert de toile de fond spectaculaire aux images de boutiques chic, de terrasses de cafés et de hordes de touristes arpentant les avenues élégantes qui l'entourent. Les vidéos diffusées par les moniteurs d'Arc Double Face expriment la sophistication de ce quartier de Paris. La pièce célèbre la gloire durable des triomphes français. Mais on pourrait aussi la voir autrement