2013년 프랑스 평론가 알렉산드르 보자(Alexandre Boza) 백남준에 대한 짧은 에세이를 쓰다 /
"TV안에 새로운 인공지능을 심고 싶다(Nous essayons de mettre un nouveau cerveau aux téléviseurs)" -백남준
백남준 / Éclairage média ParAlexandre Boza Publication : 26 nov. 2013
Contexte historique, Par Alexandre Boza, Publication : 26 nov. 2013
L'artiste coréen Nam June Paik (1932-2006) est l'inventeur d'une forme d'expression nouvelle : l'art vidéo. Musicien de formation, il a étudié le piano et soutenu une thèse sur Schönberg. Il arrive en Europe en 1956 pour travailler la musique électroacoustique auprès de Stockhausen. Il se rapproche rapidement du groupe informel fluxus et de John Cage qui devient son maître.
Sa première composition en 1959, la Sonate n°1 pour violon solo, consiste à briser un violon sur un pupitre devant l'auditoire. Sa seconde œuvre remarquable est une installation : un orchestre de treize téléviseurs déréglés exposé dans une galerie. Les téléviseurs projettent des zébrures, provoquées par l'envoi d'une fréquence sonore dans leur tube cathodique. Paik estime que « tout comme la technique du collage a remplacé la peinture à l'huile, le tube cathodique remplacera la toile » et en conclut : « j'ai inventé la télévision abstraite ».
En 1964, Paik abandonne la musique et part pour New York et se rapproche du fondateur de fluxus, George Maciunas (1931-1978), puis pour le Japon où il invente, avec l'ingénieur Shuya Abe, un des premiers synthétiseurs vidéo (1969-1970). Cet instrument permet de colorier et déformer les images des caméras, de les modifier en produisant des interférences sonores.
Le travail sur l'électronique de Paik va dans toutes les directions avec un penchant pour la provocation et le « terrorisme culturel » : il prélève des images télévisées à partir de 1963 pour réaliser de faux directs pendant la visite du pape Paul VI à New York (1965), de faux clips avec des chansons des Beatles ou des morceaux de Beethoven (1973), des reportages aux couleurs irréelles sur la vie de New York (Suite 212, 1975), ou des performances comme le Sextronic Opera en 1967 à New York, interrompu par la police pour indécence car son interprète Charlotte Moorman joue du violoncelle en sous-vêtements.
Paik évolue vers la sculpture, toujours associée à la vidéo, lui valant le surnom de « pape de la vidéo ». Il réalise un objet (T.V. Chair, 1968) ou une statue (T.V. Rodin où Le Penseur contemple son image dans un téléviseur, 1978), voire des sculptures d'écrans (Benjamin Franklin, Jean-Jacques Rousseau dans les années 1980). Il multiplie le nombre d'écrans : 384 dans Tricolor Vidéo en 1982, 1 003 pour la tour-média Tadaikson (The More The Better), à l'occasion des Jeux Olympiques de Séoul en 1988.
Dans un contexte de globalisation croissante, Paik propose même une émission de télévision, Global Groove (1974). Il y mélange divers programmes musicaux alternant rock, musique d'avant-garde, musique classique, musique ethnique, poésies et publicités. Le rôle de l'artiste est dans le cadre du direct de précipiter les rencontres entre les cultures, de « faire entendre leurs accords imprévus ». Paik en fait la démonstration dans ses trois dernières œuvres, Good Morning, Mr. Orwell (depuis le Centre Georges Pompidou à Paris, 1984), Bye Bye Kipling (1986) ou Wrap Around the World (1988). Ce sont des émissions de satellite art connectant en direct David Bowie ou Ruychi Sakamoto à John Cage et Merce Cunningham dans des images prises à différents endroits du globe et mixées par Paik.
Dans le cadre de l'émission Désir des arts, son présentateur et producteur Claude Hudelot fait le pont entre la contestation artistique de l'entre-deux-guerres (dada, Marcel Duchamp) et son prolongement dans les années 1960 autour du groupe Fluxus et de Nam June Paik. Il y est aidé par son invité en plateau, l'historien de l'art Pierre Cabanne, auteur d'une Histoire de l'art du XXe siècle.
Pierre Cabanne commente la relation entre art et technologie, et plus généralement le statut de l'oeuvre dans l'art contemporain et le geste dans la création. « Les artistes manient un appareillage, un outillage dont ils sont responsables uniquement par ce qui existe dans leurs mains beaucoup plus que dans leur regard. Ils restent tout de même intégrés à cet outillage, mais au fond, ils abordent la technologie [...]. C'est quelque chose qui fait que l'homme [...], que l'artiste se résout au fond à cette espèce d'attitude, de comportement qui fait que ce qui est important chez lui c'est ce qui va naître beaucoup plus que ce qu'il fait ».
Nam June Paik, « inventeur de l'art vidéo, qui est quelque chose de considérable dans le siècle », a disposé sur le sol du hall principal du Centre Georges Pompidou à Paris trois cent quatre-vingt quatre téléviseurs. Placés par groupes de quatre, les moniteurs diffusent alternativement des images vidéo altérées et détournées, une saturation colorée ou des interférences. L'artiste compose ainsi une image changeante, mouvante, dont la richesse provient de l'assemblage en rythme des écrans. L'installation permet de composer une image du drapeau tricolore français.
La voix de l'artiste vidéo prend alors le relais pour expliquer ses intentions. Paik signale (alternativement en anglais et en français) qu'il a essayé de « mettre un nouveau cerveau dans la télévision ». L'entretien de l'artiste est judicieusement sous-titré plutôt que doublé, préservant sa parole sur son projet. Ainsi, si on peut lire que Paik avait pensé à des formes compliquées pour remplir l'espace qui lui a été confié, il peut entendre que ces formes étaient au départ des cobras, des serpents entrelacés. Le choix de la simplicité (« cheap ») est également à double sens, à la fois sobre et économe, et la structure du drapeau français est une « solution simple ».
Lorsque dans un audacieux zoom en plongée on lui demande si c'est le drapeau français, il répond que c'est un « genre de drapeau français », avec des zones bleue, blanche et rouge, mais qui doivent connaître des variations, donc ne sont pas tout-à-fait le drapeau français. Ce choix d'associer hommage et détournement se retrouve dans les œuvres qu'il compose en 1989 à la demande du Musée d'Art Moderne de Paris pour célébrer le bicentenaire de la Révolution française.
L'oeuvre est également sonore ; de puissantes percussions renforcent l'altération des images et la brutalité de l'ensemble. L'entretien avec Paik est entrecoupé de plans dans lesquels la caméra virevolte au dessus de la fosse colorée et bruyante pour en embrasser toute l'étendue et l'ambition.
TRANSCRIPTION (Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo) Passer la transcription
Claude Hudelot: Vous parliez tout de suite des années 60, une époque charnière, et c’est l’époque où commencent à travailler des gens comme Nam June Paik qu’on peut voir actuellement au centre Pompidou.Alors lui, c’est l’inventeur de l’art vidéo.
Pierre Cabanne: Oui c’est l’inventeur de l’art vidéo qui est quelque chose de considérable.Quelque chose de considérable dans le siècle parce que vraiment, alors là, les artistes manient un appareillage, un outillage dont ils sont responsables uniquement par ce qui existe dans leurs mains beaucoup plus que dans leur regard.Ils restent tout de même intégrés à cet outillage.Mais au fond, ils abordent la technologie, et la technologie, c’est quelque chose qui est considérable dans le siècle.C’est quelque chose qui fait au fond que l’homme justement, que l’artiste se résout au fond à cette espèce d’attitude, de comportement ;qui fait que ce qui est important chez lui c’est ce qui va naître beaucoup plus que ce qu’il fait.Et un homme comme Yves Klein, qui a dit d’ailleurs, "mes œuvres sont les cendres de mon art", est tout à fait, évidemment, l’homme également de cette charnière. (Silence)
Nam June Paik: On m’a demandé de remplir cet espace, j’avais d’abord pensé à des formes compliquées mais le drapeau français m’a semblé plus simple.
Journaliste; Ce qu’on voit là, c’est le drapeau français ?
Nam June Paik: Oui c’est ça, mais avec des variations… (Bruit)
Nam June Paik: Nous essayons de mettre un nouveau cerveau aux téléviseurs.
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