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백남준랩소디

[백남준] 장 폴 파르지에, 백남준 저서 절판, 일부만 보내오다

Ce livre est épuisé, on ne le trouve plus en vente...

mais je suis en train de préparer un nouveau livre sur Paik avec tous mes textes, dont celui-ci... 
Il devrait paraitre en juillet... Je n'ai pas encore scanné le livre de 1989 sinon j'aurais pu vous l'envoyer... il faudra un peu attendre... En attendant, voici l'article des Cahiers du Cinéma n° 299, d'avril 1979, mon premier texte sur Paik : Paikologie...    PAIKOLOGIE   « Tout est dans le jeu » Judy Garland                                                                                                                                                 

ALBOUM. Paik debout sur un piano, Paik tapant du poing sur un piano, Paik renversant un piano (sur les spectateurs), Paik éventrant un piano, Paik s’aspergeant à seau et à proximité d’un piano, Paik pianotant en slip ses vêtements épars jonchant la scène autour du piano, Paik tirant un piano par les cheveux (du piano), Paik catapulvérisant un violon ‘lui faisant rendre l’âme ?), Paik à genoux faisant le violoncelle pour Charlotte Moorman (« la Jeanne d’Arc  de la nouvelle musique » selon Edgar Varese), Paik cisaillant la cravate d’un mélomane, le veston d’un autre, Paik à plat ventre finissant de tracer avec sa tête-pinceau trempée de peinture une longue tache zen, Paik actionnant dans la rue son robot électronique (il peut jouer du piano) : des photographies.

            Des photographies qui illustrent, dans les livres consacrés à Nam June Paik, sa période musicalo-dada.

FEED-BACK. Autre photo de Paik, mais cette fois beaucoup plus récente : le Vidéo-Jardin exposé à Beaubourg au printemps dernier.

            De tels environnements, Nam June Paik en conçoit à la demande des Musées ou des Galeries. Depuis les 13 primitives altérations d’un programme (Allemagne, 1963) jusqu’au grand parterre de Beaubourg (déjà réalisé à New York, Cologne, Amsterdam), Paik s’ingénie à associer la TV à divers objets usuels (lit, chaise, aquarium, plantes), culturels (Boudha, Penseur de Rodin, violoncelle) ou symboliques (lune, heures).             Décentrement, dépaysement, perversion, sublimation, gadgétisation, critique : vous pouvez broder. Pour ma part, n’étant guère un habitué du Marché de l’Art, je dirai que ces « concepts » de Paik sont toujours amusants, souvent beaux, quelquefois sublimes. Qui a vu au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, Moon is the oldest TV (10 ou 12 postes plongés dans la nuit d’une vaste salle, inscrivant chacun une phase de la lune), sait de quoi je parle.

JEANNE D’ARC. Paik au piano, Charlotte Moorman au violoncelle avec un masque à gaz (Variation sur un thème de Saint-Saëns, 1965). Charlotte Moorman entre deux flics, arrêtée, ainsi que Paik, pour attentat à la pudeur dans Opera Sextronic, 1967. Charlotte Moorman couchée avec son violoncelle sur un lit de postes TV, 1973. Charlotte Moorman, violoncelle sur le dos en guise de ruck-sac, rampant sur le parcours du coimbattant, avec casque et treillis, 1970. Charlotte Moorman jouant du violoncelle au sommet d’un tank détruit, 1976. Et toujours et partout Charlotte Moorman caressant de son archet la corde unique du TV –cello : instrument fabriqué par la superposition de trois moniteurs de tailles diverses, sur l’écran desquels viennent se reproduire tour à tour les images de la violoncelliste et de son public, images filmées en direct et plus ou moins déformées par les impulsions de l’archet et/ou la fantaisie du filmeur. Souvent, deux mini-écrans répètent ces images sur les seins de Moorman.

            Depuis 1964, à l’égal du tube cathodique, le corps de Charlotte Moorman est inséparable de l’œuvre de Nam June Paik.

            CARNET DE BAL. Dans les années 70, après quelques variations au synthétiseur vidéo sur les retransmissions de musique symphonique à la télévision, Nam June Paik réalise, en général à la demande de la WNET-TV qui les diffuse sur le Canl 13, des programmes d’une trentaine de minutes. Ces programmes, conservés en cassettes, est venu les montrer récemment au Centre Culturel Américain (rue du Dragon). On peut les voir, de temps à autre, à Beaubourg qui en possède des copies.

            Jusqu’à ce jour, 4 titres.

            Global Groove, 1973. Images de base pour les diverses manipulations électroniques : des danseurs (de rock, de charleston, de comédie musicale, de danses coréennes raythmées par un tambour, etc.), un poète disant un poème (Allen Ginsberg), un musicien exposant ses idées (John Cage), des acteurs en action (Living Theatre). A quoi viennent s’ajouter, intacts, des spots publicitaires (entre autres pour Pepsi Cola en coréen).

            Tribute to John Cage, 1974. Le robot qui marche et qui parle, construit par Shuya Abe et Nam June Paik, dans la rue avec John Cage. Cage fait une conférence sur sa musique. Cage joue du piano (préparé) dans la rue. Un universitaire de Harvard parle musique et bégaiement ; il est lui-même bègue. Charlotte Moorman fait des trucs. Tel est, en grande partie, le matériel travaillé ici par les divers appareils de montage électronique.

            Guadalcanal Requiem, 1976. Des bouts de films de guerre hollywoodien, des anciens marines ayant fait la guerre du Pacifique, des habitants des îles Philippines où cette guerre s’est déroulée, des charniers, des ossuaires dans la jungle, et dans un « paysage après la bataille » (à la crête d’un tank rouillé), Charlotte Moorman jouant du violoncelle, sont les principaux personnages « réels » malaxés ici par l’électronique.

            Merce by Merce, suivi de Merce by Marcel, 1977. Cette sorte de diptyque, avec le chorégraphe Merce Cunningham et Marcel Duchamp, à travers une réflexion, très électronique, sur la danse et la pesanteur, la vie et l’éternité, est sans doute la plus ambitieuse des œuvres de Paik. Et la plus réussie. La plus légère et la plus grave. Nous allons y revenir.

            A ces quatre titres, il faudrait ajouter Media Shuttle : New York – Moscou de Dimitri Devyatkin, un programme WNET-TV que Paik n’a pas réalisé à part entière (il en est d’ailleurs souvent ainsi : la liste des crédits films à la fin de ses bandes est d’une longueur impressionnante) mais qu’il a produit et pour lequel il a effectué les opérations électroniques. Il s’agit d’images et de sons enregistrés par Devyatkin à New York et à Moscou, avec un porta-pack couleur (certaines séquences russes étant en noir et blanc parce que filmées quelques années plus tôt que le reste). La partie soviétique est du bon reportage, bien filmé, insistant surtout sur des impressions sonores, musicales : chants orthodoxes, orchestre New Orleans dans un défilé de Premier Mai et surtout cet inoubliable sibérien imitant avec sa bouche, à s’y tromper, le son de la Voix de l’Amérique, la fameuse radio. La partie américaine consiste en la ballade d’un type moustachu à travers divers lieux de New York (appartement, salon de coiffure, sex-shop, salle de bain, etc.) qui ont en commun de posséder dans leur décor une source d’images électroniques (TV, moniteur vidéo, écran individuel pour film porno). Ces postes, plus ou moins miniatures (il y en a même un, très mini, logé entre les cuisses d’une femme), diffusent d’un plan à l’autre le même discours, dit par le ty à la moustache qui contemple, d’un endroit à l’autre, son image ainsi reproduite. Il parle du parc automobile et du parc télévision new-yorkais. De la criminalité aussi. A la fin, un voleur s’introduit dans un appartement où scintille du même discours un solitaire téléviseur portable ; le voleur l’éteint, enfonce l’antenne et l’emporte.

            CUT UP. A coup sûr, davantage que le vidéo-sybthétiseur (inventé avec Shuya Abe en 1970 et délibérément non breveté, « que tout le monde s’en serve »), la grande découverte de Nam June Paik concerne la nécessité de mélanger images abstraites et images concrètes. C’est une découverte inséparable de toute grande création artistique – l’hétérogène. Hétérogène visé et obtenu dans les « dé-coll/ages » des concerts Fluxus, dans les « concepts » pour Galeries, dans les « environnements » pour Musées ou dans les prestations publiques de Charlotte Moorman, mais hétérogène perdu dès lors que le synthétiseur se contente de générer des coloriages charmants sur un support-temps reproductible. Car ce qui frappe dans l’instant (d’une exposition) s’émousse à se répéter dans la durée, se dilue, ennuie. L’intérêt chute. Pour qu’il renaisse, il faut que le déroulement de la bande offre une diversité d’onjets et de matières au moins comparable à celle de la présentation dans une galerie ou un musée de plusieurs « concepts » vidéo. Paik en fait la démonstration dans l’entretien qui suit, à partir de l’exemple des couleurs (couleurs artificielles ou abstraites créées par le synthétiseur, couleurs réalistes ou concrètes produites par la caméra, produites plus que reproduites car il va de soi que le système des couleurs dites réalistes est un code, un code qui vise des rapports de couleurs davantage que les couleurs en elles-mêmes). La même démonstration est valable pour toutes les composantes de l’image :surée, analogie, unicité, capacité symbolique. Elles sont toutes susceptibles d’une reprise électronique, car le vidéo-synthétiseur est d’abord un analyseur et il peut séparer toute forme de son contenu. Ainsi obtient-on la silhouette d’un personnage ou d’un objet, silhouette qui peut être tracée linéairement ou au contraire prise dans sa masse, comme une ombre portée. Et cette silhouette et cette masse peuvent être ensuite (ou instantanément) coloriées, étirées, élargies, volatilisées, multipliées par deux, par trois, à l’infini ou juxtaposées.

            CUT IN. Juxtaposées ou imbriquées : cet hétérogène ne se limite pas à l’alternance de valeurs abstraites et concrètes entre deux séquences ou même deux plans, il s’étend aussi à l’intérieur du plan. Et sans doute est-ce ce montage dans le plan qui constitue la spécificité la plus excitante de l’image vidéo.

            Equivalente aux trucages cinématographiques à base de cache/contre-cache ou d’image virtuelle, l’incrustation est le nom de cette opération qui consiste à inclure électroniquement un fragment d’image bien circonscrit (acteur, journaliste, objet, mot, etc.) dans une autre image (décor, fond, paysage, etc.). Quand Poivre d’Arvor parle adossé à une image de foule en mouvement, il ne se trouve pas dans la rue ni devant un écran où serait projetée cette image de foule, il est assis à son bureau sur le plateau d’Antenne 2, filmé par une caméra vidéo ; et sa binette, transitant par une régie programmée en conséquence, va s’inscrire instantanément dans toute autre image qu’il plaît au réalisateur de lui dresser comme toile de fond (en général, le début du reportage suivant). L’incrustation n’est pas un fondu, opération par laquelle, à la télévision comme au cinéma, deux images se mêlent mais en perdant chacune un peu de leurs valeurs. C’est une procédure comparable au détourage d’une photo dans une mise en page. Voilà pourquoi Jean-Christophe Averty, le seul homme de télévision en France à avoir exploré toutes les possibilités artistiques de l’incrustation, signait (il faut malheureusement parler au passé) ses génériques : réalisation et mise en page.

            L’incrustation est le prototype de toutes les opérations d’analyse et de synthèse d’images générées électroniquement. A partir de ce principe d’inclusion – mais aussi d’exclusion : un fragment d’image en emboutit un autre – on peut imaginer les avatars les plus complexes, les métamorphoses les plus improbables, une hétérogénéité infinie.

            C’est de ce côté, du côté de l’infini, que Nam June Paik, depuis ses premiers tripotages du signal vertical, n’a pas cessé de pousser ses investigations, découvrant à chaque fois de nouvelles retombées de signaux. Et de nouvelles envolées.

            HI-FLY. Vidéo : je vole. Et non pas : je vois. Tel serait, pour Nam June Paik, le sens ultime de l’image électronique. L’art vidéo n’est pas le cinéma : l’art vidéo, selon Paik, a davantage partie liée avec notre résistance à la pesanteur qu’avec notre désir de voir. Il est moins un coup d’œil qu’un coup d’aile. Qui a été touché, au plus profond, par les vidéogrammes de Paik, ne peut que prendre au sérieux, philosophiquement sinon économiquement, ses déclarations enthousiastes concernant le triomphe de la vidéo sur le principe de gravité universelle. Et sous les paroles de prospectives écologiques, entendre la petite musique du désespoir métaphysique. Mort, où est ta victoire ? Je vole…

            Postulat d’un Euclide du temps après Einstein, sans doute est-ce cette croyance qui fait les œuvres de Paik si émouvantes. Car les images accommodées par lui, les séquences qu’il ordonne, ne sont pas seulement ingénieuses, jolies, farfelues, surprenantes, elles sont aussi bouleversantes. Dans leur humour même. Au moment où l’on s’y attend le moins, elles inoculent des virus aussi incurables que l’angoisse de mort ou les rêves d’éternité. Et cela clignote, non au détour de quelques énoncés pensifs, mais au cœur même des procédures électroniques utilisées. Points et lignes ne se dérèglent sur le tube que pour converger vers la question de l’être. Et c’est là que le mélange d’images abstraites et figuratives se révèle des plus décisifs, car c’est bien parce que les images figuratives et surtout les figurations humaines sont soumises par l’électronique aux pires perturbations comme aux plus désirables transfigurations que l’âme du spectateur vacille.

            Angoisse de mort. Au repli de deux grandes catastrophes ontologiques : devenir trame et devenir double.

            Devenir trame. La figure, entendons la figure de l’homme, celle qui suscite l’identification, l’ancrage imaginaire, la figure est en vidéo pulvérisable. Et souvent pulvérisée. A tout moment, elle est menacée d’un retour à la ligne, au point électronique qui la constitue sur le tube. Plus que jamais, elle n’existe que dans le temps et ce temps peut s’arrêter, s’inverser, se répéter, s’étirer, se condenser, mettant les formes au supplice. La représentation se trouve tributaire non plus d’un vingt-quatrième de seconde mais d’un millionième (au moins). Nam June Paik, s’opposant à la sentence godardienne, n’a pas tort de dire qu’en vidéo il n’y a plus de vérité (dans le même ordre d’esprit, je me souviens que par défi au dogmatisme politique que je venais de quitter, j’intitulai une de mes U.V. vidéo à Vincennes : « 625 lignes justes »). Il n’y a plus de vérité parce qu’il n’y a plus de vérité, ou presque, parce qu’il n’y a presque plus de réel. Juste ce qu’il en faut pour servir de comburant.

            Point parmi les points, ligne parmi les lignes, inépuisable matière à tracer, la figure – et au premier chef le corps, le corps humain – ne règne plus en maître sur l’espace délimité par le cadre. Si elle ne peut éviter de s’y référer, l’image vidéo ne se règle plus sur ce morcellement du corps qui détermine au cinéma l’échelle des plans. L’homme, et par double extension, tout être animé, puis tout objet, n’occupent plus de droit le centre de l’écran. Et la caméra, dès que le sujet se déplace, ne se sent plus tenue de le suivre : il existe bien d’autres manières de le rattraper dans sa course, de le recadrer ou au contraire de le décadrer, de l’expulser. A tout moment, il peut être soufflé. A la trame, rendu. Poussière redevenu dans le grand poudroiement des électrons. Comme atomisé. D’une pichenette sur un bouton. Ce qui ne laisse pas sans un certain effroi.

            Soufflé ou multiplié, autre façon de le dissoudre, ce sujet. Multiplié à faire sauter le cadre. A le faire sauter du cadre.

            Devenir double. La perte d’identité, d’unicité, commence à deux ; après, ce n’est même plus la peine de compter. Le voudrait-on ici, ce serait difficile. Les machines vidéo ont aussi ce pouvoir terrifiant de délivrer les ombres de leurs attaches, de leur rendre une autonomie qu’elles n’ont jamais eue. De n’importe quel sujet ou objet tombé dans la trame, elles peuvent tirer mille et une silhouettes, linéaires ou massives, colorées ou striées ; et ces silhouettes peuvent aussitôt se mettre en mouvement, dans plusieurs directions à la fois, tandis que cette forme qui les a comme engendrées restera inerte ; après quoi, cette forme, ce corps, s’animera à nouveau, mais cette fois ce sera pour contemplere, repris sur un moniteur intégré au décor, un double de lui qui parle à sa place, tandis que lui se tait, un double très doué pour le contrefaire, le singer, répétant minutieusement ce qu’il vient d’avancer, paroles et mouvements, voire même le devançant. Du coup, on croirait que c’est lui le mort, l’ombre, le reflet.

            Nul doute que cette coexistence de deux cadres sur le même tube, l’un abyme de l’autre, soit encore plus épouvantable que la dissémination des doubles. A ce point, tous les fantasmes de miroir denté se remettent à vivre, toutes les légendes contant les mésaventures de Narcisses vampirisés par leur reflet.

            Rêves d’éternité. Aux origines du cinéma : le corps burlesque (ainsi que le rappelle à bon escient Jean-Louis Schefer, Cahiers du Cinéma N° 296).

            Nam June Paik, d’une certaine façon, traite le corps en vidéo comme le burlesque le traitait avant que le star system s’en empare et le pare de beauté dans ses laboratoires. La star c’est la vidéo. C’est elle qui brille au firmament des trames, quoi qu’il s’y passe. Avatar grotesque ou sublime transcendance, tous les mérites en reviennent toujours à l’Electronique. Les manipulations de Paik, dans le contexte d’angoisses et de désirs fous qu’il distille, fabriquent des effets de puissance aussi sûrement que les ateliers de make up qui élaboraient à Hollywood les visages du succès. Bien sûr, chez Paik, cela ne va pas sans humour. Même quand il redouble ce sentiment de toute puissance par des théories futuristes impliquant toutes cette conclusion : hors de la vidéo, point de salut (écologique, précise-t-il, car c’est aujourd’hui le mot qui porte nos espoirs de « bonne société »).

            Il n’en reste pas moins qu’avec Paik la vidéo se pose en rivale du cinéma, dans tous les domaines où celui-ci régnait sur nos imaginaires. En matière de maquillage de nos angoisses et de sublimations de nos désirs, elle prétend avoir l’avenir pour elle. Et même déjà un peu de notre présent. Pour avoir fréquenté certaines vidéographies, je dois bien reconnaître qu’il n’a pas totalement tort. Certes nous ne sommes pas près d’oublier nos larmes qui se mêlent à celles (retenues) de Judy Garland à la fin d’ A Star Is Born (Cukor) ni nos tressaillements quand le chien affronte le sanglier sous l’œil novice de George Hamilton dans Home From The Hill (Minelli), la vidéo d’ailleurs ne nous en demande pas tant puisqu’elle n’ambitionne, à cet égard, que de mettre en cassette le patrimoine hollywoodien, mais je sais aussi, pour les avoir éprouvées, que les émotions de vidéophile nous seront bientôt aussi indispensables que celles qui naissent des fictions cinématographiques. D’abord parce que ces émotions électroniques s’accordent terriblement aux plaisirs de notre époque, plaisirs de la vitesse, des voyages éclairs, plaisirs des longues conversations téléphoniques et du feuilletage lassée des piles de journaux, plaisirs de la pensée rapide, de la pensée binaire (This is dance – Is this dance ?), plaisirs du babil psychanalysoïde, de la calculatrice de poche, de l’ordinateur domestique, de la photocopie recto-verso, des pochettes de disque et du bordeaux californien qui, paraît-il, commence à surpasser le nôtre. Et puis ensuite parce que, finalement, ces émotions ne sont pas si différentes de celles du cinéma : il s’agit toujours de jouer à colin-maillard avec sa mort, à saute-mouton avec l’héroïsme, à je te tiens par la barbichette avec le divin, au Monopoly avec l’amour. Oui, encore un peu, et nous ne voudrons plus échanger un Paik contre un Cukor ; passionnément nous tiendrons aux deux. Comme aux deux prunelles de notre âme.

            MODE D’EMPLOI. La vidéo est grande et Paik est son prophète. Il n’a pas pris de brevet pour son synthétiseur. Allez-y, servez-vous et faites des merveilles.

            Suffirait-il donc, pour nous émouvoir au point où Paik nous transporte, de faire joujou avec son synthé, d’incruster à qui mieux mieux du négatif dans du positif, du noir dans du blanc, du blanc dans de la couleur, du linéaire dans du volumineux, de l’abstrait dans du concret et vice versa, bref de mettre les petits spots dans les grands ? Certes non. Et Averty qui maîtrise avec grâce toutes ces techniques nous fait évoluer dans d’autres zones, pour d’autres plaisirs. Sans parler des imageurs de pubs irisées à la Bahlsen.
            Alors, à quoi tient la force originale de Paik ? A-t-il un secret ?

            Soyons bref et disons-le à voix basse : si Paik nous émeut autant, nul doute, cela tient aux images de base qu’il donne en pâture à ses machines électroniques. Des images surcodées culturellement, des représentations artistiques, des fragments de messages déjà médiatisés (impressionnante liste de crédits aux génériques de fin, filmothèques, photothèques, vidéothèques, collections privées, tout y passe, y compris Jean-Marie Drot de l’ORTF pour son interview de Marcel Duchamp). Art de culture ou art de masse, art d’hier ou art d’aujourd’hui, c’est toujours de l’art chez lui qui se consume entre deux trames. Un buste de Beethoven brûlant à petit feu, un piano incendié, le discours de Cage ainsi que son visage tailladés par des coupes, la gestuelle de Cunningham saccadé par des accélérés brutaux ; pas seulement des métaphores. Aussi de la matière première qui s’en va en fumée, en volutes d’électrons. La consomption ne reste pas longtemps image d’elle-même, elle donne lieu, elle aussi, à des effets vidéo.
            Mais quel est cet art qui se fait ici combustible (le comburant étant, comme suggéré plus haut, le « réel », les effets de réel de temps à autre injecté, comme du sang neuf, dans les effets de synthèse ) ? Cet art se nomme : art de la fin de l’art.

            L’art est en cendres et avec lui ce qui de nous prétendait survivre. Angoisse. Humour. L’art est en cendres mais la vidéo veille à ce que ses funérailles soient somptueuses et mondiales. Hors de la Vidéo, point de salut, carillonne-t-elle triomphante.

            Point de salut, mon cul ! répond doucement Echo.
            Nam June Paik est un iconoclaste gai.

            SERVICE APRES VENTE. Je n’avais encore jamais vu ça. Nam June Paik est assis dans un fauteuil, devant le petit enregistreur, on bavarde. Je propose de commencer l’entretien et je pose une première question. Aussitôt Paik m’interrompt, se saisit de l’enregistreur et dit : one two free liberty. Essai de son. Il ré- embobine. On écoute, c’est bon. OK, on peut y aller. Et pendant deux heures il tiendra l’appareil à deux mains, parlant droit dans le micro incorporé.

            Quelques jours plus tard, nous sommes à l’INA, aux archives, dans les glaciales tours Mercuriales de Bagnolet. Nam JUne Paik et Shigeko Kubota doivent visionner les émissions de Godard 6 x 2. On nous apporte les cassettes. On en mey une. Je dis : ça ne va pas, c’est en couleurs normalement, et là c’est du noir et blanc. Pourtant tous les réglages du poste semblent corrects. Au bout de divers essais, Paik sort de sa poche une lampe électrique, un tournevis et se met à farfouiller dans les machines.

            Paik : réparateur de pianos ?       

Le 1 févr. 2016 à 05:12, 김형순 a écrit :

Monsieur le professeur
Où puis-je acheter votre livre sur NJ que vous avez écrit en 1989 art press ?

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Date: Saturday, Jan 30, 2016 10:07:09 AM
From: "Jean-Paul FARGIER" <jean-paul.fargier@wanadoo.fr>
To: <seulsong@nate.com>
Subject: ma mère Paik

Et un autre, pas trop choquant, j'espère...
Bonne lecture...
dites moi ce que vous pensez de ma "théorie"
sur le devenir mère de Paik...